Pierres françaises et sociétés luxembourgeoises
Par Christophe Maulny et Robert Anthony, Anthony & Cie
Gestion de fortune (n°195), Août 2009
Les sociétés luxembourgeoises propriétaires de biens immobiliers situés en France font face à un changement d’environnement juridique et fiscal.
Traditionnellement, la détention par une société luxembourgeoise d’un immeuble situé en France crée un enjeu de fiscalité internationale puisque tant la France, Etat de situation de l’immeuble, que le Luxembourg, État du domicile de la société vont revendiquer le droit d’imposer les revenus ou les plus-values générées par l’immeuble.
Dans cet esprit, la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 était pour le moins atypique. Son interprétation ainsi que les interprétations, respectivement, des lois fiscales luxembourgeoise et française aboutissaient à une divergence inattendue.
Or, l’article 4-1 de la convention prévoyait que les revenus d’une entreprise commerciale dont le siège était au Luxembourg soient imposables au Grand-Duché. Cette règle ne jouait pas lorsque l’entreprise avait un établissement stable en France mais le Conseil d’Etat avait statué que la simple détention d’un immeuble en France ne constituait pas un établissement stable (CE 18 mars 1994 n° 79971).
Coté luxembourgeois, les revenus de biens immobiliers situés en France et revenant à une société de capitaux luxembourgeoise n’étaient pas non plus imposables au Luxembourg (arrêt “LA COSTA SARL” du 23 avril 2002). C’est la raison pour laquelle, la société de capitaux de droit luxembourgeois pour l’acquisition ou la détention d’immeubles situés en France était très avantageuse tout comme pour la transmission successorale ou par voie de donation entre vifs.
La convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958
Le résultat de cette divergence de jurisprudence était que les plus-values de cession et les revenus locatifs d’un immeuble situé en France et perçus par une société luxembourgeoise n’étaient jusqu’au 27 décembre 2006, imposables ni en France et ni au Grand-Duché de Luxembourg.
Les positions jurisprudentielles en vigueur conduisaient à une exonération fiscale des revenus immobiliers français d’une société luxembourgeoise.
Il en résultait donc une double “non imposition fiscale” lorsque ces biens sis en France étaient détenus par une société luxembourgeoise. Ces dispositions exceptionnelles permettaient la perception de revenus immobiliers ou de plus-values immobilières par ces sociétés en totale exemption fiscale.
Alors que le modèle classique des conventions fiscales prévoit que les revenus liés à un bien immeuble, détenu par une société luxembourgeoise et établi sur le sol d’un pays avec lequel le Luxembourg a signé une convention fiscale est, en général, taxable dans le pays sur le sol duquel le bien immeuble est sis. (Modèle OCDE)
L’avenant du 24 novembre 2006
Face à cette situation, la France et le Luxembourg ont montré une véritable volonté de changement. L’avenant signé le 24 novembre 2006 supprime en effet la double exonération dont bénéficiaient les revenus et plus-values de cession de biens immobiliers situés en France et détenus directement par des entreprises luxembourgeoises.
Cet avenant confirme la fin annoncée du “La Costa” : désormais les bénéfices, revenus et plus-values provenant de l’exploitation et de la cession de biens immobiliers seront imposables dans l’Etat de situation des immeubles que le propriétaire des biens soit une personne physique ou une société. L’affectation ou non à un établissement stable dans l’Etat de situation des dits bien restera sans incidence.
L’entrée en vigueur le 27 décembre 2007 du deuxième avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne sonne pas le glas de la voie luxembourgeoise. Bien des optimisations fiscales lors de l’acquisition, la détention et la cession d’un bien immobilier dans le cadre franco-luxembourgeois restent possibles.
Le Luxembourg reste à privilégier dans la perspective d’investissements immobiliers en France, dans des configurations qui seront décrites ci-après, et pour des raisons qui tiennent aussi à la place centrale acquise par le Luxembourg dans la structuration et le financement des investissements internationaux en Europe et dans la zone euro en particulier.
Pourquoi continuer à investir dans l’immobilier en France via une société luxembourgeoise
Ainsi demeurent, pour le Luxembourg, les arguments suivants :
– Structures et législation sociétaires souples et stables ;
– Avantage de la langue et d’un droit civil similaire facilitant les opérations de gestion et les transactions ;
– Exonération totale des revenus immobiliers réalisés à l’étranger ;
– Exonération des intérêts payés par une société immobilière Luxembourgeoise ;
– Accès aux directives mère fille permettant la distribution et l’exonération de dividendes venant de France vers le Luxembourg (sujet à conditions) ;
– Accès à la directive intérêts permettant l’endettement intragroupe ou envers une structure ad hoc dans le but de réduire la base imposable en France ;
– Absence d’impôt sur les plus-values relatives à la cession des actions/parts de sociétés à prépondérance immobilière ;
– Transparence fiscale des SCI immobilières confirmée par l’avenant.
Ceci est un avantage et une sécurité juridico-fiscale non négligeable pour les sociétés civiles immobilières françaises détenues par des non-résidents comparés à la Belgique ou le Royaume-Uni (où les administrations fiscales considèrent que les revenus perçus de ces sociétés doivent être considérés comme des dividendes – donc subir deux fois la taxation).
Conséquences pratiques du nouvel avenant en France pour les sociétés luxembourgeoises aux niveaux fiscal et comptable.
• En application des articles 3 et 4 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise telle que modifiée par l’avenant du 24 novembre 2006, les revenus des immeubles sont imposables dans l’Etat du lieu de situation des immeubles. Cette règle s’applique depuis le 1er janvier 2008 aux entreprises, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Ainsi, une société luxembourgeoise détenant un bien immobilier en France est-elle dorénavant imposable en France sur les revenus procurés par cet immeuble.
Il y a lieu de souligner que, selon l’administration fiscale française et la jurisprudence, les sociétés de capitaux, notamment étrangères, propriétaires d’un immeuble en France et le mettant à disposition des associés à titre gratuit, sont imposables au titre de l’avantage en nature ainsi consenti.
• Cela implique l’obligation de déposer des déclarations fiscales et notamment une liasse d’impôt sur les sociétés pour les sociétés de capitaux.
• Cette liasse fiscale suppose la tenue d’une comptabilité commerciale française. Bien entendu, s’agissant d’une société luxembourgeoise, cette comptabilité française n’est destinée qu’à servir de support aux obligations fiscales en France ; la société reste tenue d’établir une comptabilité au Luxembourg (sous réserve de la réglementation locale).
• Il n’y a pas d’obligation pour ces sociétés d’avoir un représentant fiscal en France.
• Enfin s’agissant des sociétés civiles françaises filiales de sociétés luxembourgeoises, par prudence, il peut être envisagé de nommer un gérant en France afin d’éviter un risque de fictivité de la société, ce qui pourrait entraîner la perte de l’exonération, en France, des plus-values sur la cession des parts lorsque celle-ci est applicable.
En conclusion, le Luxembourg a représenté pour nombre de conseillers en gestion de patrimoine et autres conseils une solution idéale pour structurer des investissements immobiliers en France (les fameuses holdings 29, aujourd’hui sans intérêt). L’avenant du 24 novembre 2006 à la convention fiscale franco-luxembourgeoise a mis fin à cette situation de quasi-paradis fiscal. Cet avenant ne remet pas en cause l’intérêt du Luxembourg pour tout investissement immobilier en France.
De nombreux avantages majeurs subsistent dépendant de la typologie des sociétés d’investissement en jeu. Pour une fiscalité optimisée, face à la complexité des montages, il est nécessaire de s’entourer de conseils reconnus.
En France, pour l’établissement des déclarations fiscales et pour la comptabilité qu’elles nécessitent, il est vivement recommandé là aussi de s’entourer de professionnels et de nommer des gérants ou co-gérants.
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