Gestion de fortune, la méthode des milliardaires – Focus sur les family offices
Conseillées par les très discrets « family offices », les grandes fortunes, c’est-à-dire des patrimoines pesant au minimum 20 millions d’euros, ont des stratégies patrimoniales qui sortent des sentiers battus.
De quoi donner des idées aux investisseurs plus modestes.
Ils sont les hommes et les femmes de confiance des grandes fortunes, les «hommes de l’ombre» selon l’expression de l’un d’entre eux. Des agents un peu secrets qu’on appelle les «family officers». Intraduisible, si ce n’est en se référant à cette ancienne profession d’avoué qu’incarnait le «Maître Derville» de Balzac, dans Le Colonel Chabert ou Le Père Goriot. Dans ce milieu, la confidentialité est érigée en dogme. Normal, ces administrateurs de biens ont sous leur responsabilité des dizaines de millions d’euros. La plupart conseillent plusieurs familles pesant chacune au minimum 20 millions d’euros, condition sine qua non pour franchir leur porte et bénéficier de leurs services éclairés. Et pour les très grandes fortunes – des milliards d’euros parfois, comme pour les Peugeot, Dassault, Wendel, Dentressangle, Mulliez ou Bettencourt – les «single family offices» sont dédiés à une seule famille. Ces spécialistes ne sont pas des gestionnaires de patrimoine comme les autres, mais leur savoir-faire peut inspirer tous ceux qui ont un important patrimoine à gérer. Edmée ChandonMoët, présidente de Family & You, basée à Bruxelles, explique son approche: «Nous nous comparons à l’architecte qui fait une réunion de chantier avec les corps de métier appropriés.» François Mollat du Jourdin (MJ & Cie), le premier à s’être lancé à Paris en 2001 puis à Genève, sourit: «Moi, je ne fais rien, je fais faire. Edmée Chandon-Moët qui, avec Frédéric Lucet, un brillant agrégé de droit, conseille des chefs d’entreprise très connus. «L’exit tax nouvelle version, commente-t-elle, a eu un effet catastrophique.» L’imposition des plus-values sur un portefeuille de titres, qui pouvait être effacée huit ans après le transfert à l’étranger, a vu son délai prolongé à quinze ans par le gouvernement l’année dernière. Selon elle, «beaucoup de jeunes chefs d’entreprise ont réagi très vite en se délocalisant plus tôt, notamment à Bruxelles ou à Londres…» Le family office londonien Robert Anthony, qui gère les intérêts d’une centaine de très grandes fortunes internationales, est du même avis : «Pour nos familles qui possèdent des biens en France, la préoccupation la plus forte en ce moment, c’est la fiscalité. C’est même une angoisse.» Et d’enfoncer le clou: «Nous disons à nos clients de conserver le maximum de leurs actifs hors de France afin d’éviter l’impôt sur la fortune et la fiscalité successorale qui y sont particulièrement élevés.» Le récent rapport de l’observatoire sudafricain New World Wealth sur les flux des grandes fortunes dans le monde met en évidence une formidable évasion ces quinze dernières années de la France vers la GrandeBretagne, le Luxembourg, la Suisse, la Belgique. Mais pour autant, certains family officers restent beaucoup plus nuancés. Ainsi Christophe Achard, le fondateur d’Intuitae, Nous ne gérons aucun actif, nous ne vendons aucun produit.» Bref, le family officer est l’homme de l’art qui a la maîtrise des domaines clés de la gestion de fortune: le patrimonial (incluant la stratégie juridique et fiscale), l’investissement (incluant le conseil en allocation stratégique), la cohésion de la famille (éducation, gouvernance, philanthropie) et la gestion administrative. Mais là où les conseils en gestion de patrimoine (CGP) touchent des commissions de la part des gérants et des prestataires, eux sont payés en honoraires. On compte une centaine de family offices en France, du moins officiellement reconnus par l’association professionnelle Affo, mais ce titre n’est pas une appellation protégée. Que conseillent-ils à leurs clients dans le contexte économique très troublé et après cette crise de 2008 qui a ébranlé la sphère financière mondiale? Nous l’avons demandé à sept d’entre eux, à Paris, Genève, Luxembourg, Bruxelles, Londres. Des échanges qui réservent quelques surprises. Et des pistes de réflexion pour les fortunes plus modestes !
Interview de Robert Anthony
Publié dans « Les Echos Week-End »
Article rédigé par Jean-Denis Errard
11 décembre 2015